XXII INTRODUCTION elle-même, dont on dit qu’elle a fait, avec le minimum de pertes, le maximum de gains possibles, —puisque son action s’est relativement exercée loin du théâtre de la guerre, — la Grèce elle-même a vu sa dette publique doublée. Il est vrai qu’elle pourra récupérer ses sacrifices par les ressources nouvelles qu’elle tirera des territoires et des îles entrées dans son domaine. Mais c’est ici que se pose, pour elle comme pour tous les vainqueurs, même pour les plus heureux, l’énorme point d’interrogation : les ressources qu’elle se promet suffiront-elles à payer à la fois les frais de la mise en valeur que ses hommes d’Etat sont indiscutablement capables d’entreprendre et les dépenses militaires correspondant à ses ambitions nouvelles ? Voilà la Grèce entrée, bien plus avant qu’elle ne le suppose, dans la voie des commandes d’armements ; la voilà rivalisant avec l’Italie ; la voilà exposée à son tour à la tentation, à la fascination des gros cuirassés... Ce sont là des centaines de millions de capitaux à emprunter, d’impôts à faire payer à ses contribuables, — sans compter les frais toujours croissants d’entretien, et les entraînements... — car un jeune peuple, quelle que soit la sagesse de ses gouvernants, ne se résignera pas facilement à voir sa nouvelle marine et ses armements se démoder en peu d’années sans s’en servir, ses vaisseaux rester au mouillage et ses régiments l’arme au pied. Et alors ? voilà notre belle Grèce à son tour déchirée entre le parti militaire qui fera vibrer, à toute occasion, son patriotisme, par la voie de ses journaux, de ses orateurs impatients, et le parti du travail, du progrès, qui se verra discrédité, en même temps que se tariront les sources de la richesse nationale et que les révoltes sociales naîtront... La Grèce va maintenant savoir ce qu’il en coûte de s'abandonner au luxe des Dreadnoughts ; elle n’est qu’au commencement. Quant aux autres Alliés et aux Turcs, nous nous abstiendrons d’insister sur leurs pertes bien plus grandes que celles des Grecs, et sur les risques qui menacent leur avenir. Cela est trop clair. Les conséquences morales des guerres balkaniques sont brièvement indiquées dans le beau chapitre qui couronne le rapport. On y voit les répercussions inattendues de tant de crimes, aussi funestes à leurs auteurs et à leurs pays respectifs qu’à leurs victimes. On y voit des centaines de milliers d’êtres humains systématiquement dégradés, de leurs propres mains, corrompus par leur propre violence, — on y voit, donné en exemple, le mal qu’on s’efforce ailleurs de combattre ou de dénoncer ; on y voit les générations de demain empoisonnées par l’héritage de leurs devanciers. On y voit aussi la meilleure partie de la jeunesse enlevée au travail urgent de la campagne, de l’atelier, pour aller, dans l’oisiveté relative de la caserne, attendre la prochaine guerre. Toutes ces craintes pour l’avenir sont exprimées sans un soupçon d'animosité contre l’un ou l’autre de ces malheureux peuples égarés, dans un sentiment profond au contraire de sympathie pour eux et, pour tout dire, d’humanité. La conclusion de ce chapitre se dégage d’elle-même : la violence porte en elle son châtiment