ANDRINOPLE 97 les mêmes femmes revenir et reprendre le fruit de leur larcin. Ils arrivent à la mosquée, où la populace a installé ses pénates. L’officier bulgare se met à la porte et donne l’ordre à ces gens de cesser le pillage et de sortir un par un. On régale de coups de bâton et de crosse les individus qui sortent, mais les femmes ne veulent pas lâcher prise, et, tout en subissant la bastonnade, elles emportent sur elles les choses volées. Ils sont trop nombreux — et elles aussi — pour pouvoir être arrêtés et punis ; et c’est pourquoi ils tirent profit de cette supériorité accidentelle. Enfin, la troisième journée amène le fonctionnement régulier des patrouilles; l’ordre commence à s’établir, mais le pillage et le vol, qui persistent, affectent seulement une forme appropriée à la situation nouvelle. On a pu noter des cas où les voleurs se sont travestis en soldats et, après être entrés dans une maison en se présentant comme formés en patrouille, ont pillé tout à l’aise. C’est alors que les soldats bulgares, à leur tour, se sont mis à suivre l’exemple de la population, ou plutôt à coopérer avec elle pour prendre part à cette division du travail d'un nouveau genre. On a des témoignages qui établissent que des patrouilles s’employaient à assurer la sécurité... des voleurs, à condition de partager ensuite le butin. Le major Mitov, lui-même, affirme que des soldats, à sa connaissance, ont été entraînés au pillage par leurs hôtes grecs, usant de tous les moyens possibles de persuasion. Quant aux autorités, une fois de plus, elles ont dû s’avouer impuissantes. On a raconté au membre de la Commission qui a mené cette enquête qu’un jour, à Andrinople, un soldat prisonnier « pomak » (un Bulgare musulman), bien connu d’un des consulats, a reçu la permission écrite de circuler, comme « prisonnier libre », mais que, lorsqu’il a voulu faire usage de cette permission, il a été volé dans la rue par les réguliers qui lui ont pris jusqu’à ses bottes. Les pieds nus, il est revenu au Consulat, et une plainte a été adressée au commandant Gontcharov, qui n’a pu faire mieux que de renouveler au pauvre diable son permis de libre circulation et de lui donner de sa poche un medjidé (4 francs et demi) pour lui permettre de s’acheter des chaussures. On pillait jusque dans le consulat bulgare d’Andrinople, et le consul, M. Kojoukharov, en revenant dans cette ville de Kirk-Kilissé — où il avait été transféré — a trouvé ses malles vides de leur contenu. Le préfet de police d’Andrinople, M. Chopov, nous a déclaré qu’il n’avait pas voulu ouvrir une enquête sur le cas de M. Kojoukharov, puisqu’il était Bulgare. M. Vasov nous a confirmé, d'autre part, qu'il s’était refusé à ordonnner des perquisitions à domicile, « pour ne pas inquiéter la population » et, peut-être aussi, pour ne pas créer de nouvelles occasions de pillage. Mais il y a eu des perquisitions, et M. Vasov lui-même en fait mention, pour retrouver les soldats cachés et déguisés. 7