LES DÉPOSITIONS de 5.000 ont passé par nos mains, les jours de l’attaque. Si bien aménagés que nous ayons été, il nous était impossible de garder tous ces blessés, gravement atteints. 11 fallait évacuer à tout prix ; et c’est pour organiser les moyens d’évacuation que je m’étais rendue, le troisième jour, à Andrinople. Et malgré tous mes efforts, malgré tout le désir des autorités bulgares de m’accorder ce qui était si indispensable, je ne suis parvenue qu’à obtenir ces vingt lits, et le reste des blessés a dû être évacué d'abord sur Ivirk-Kilissé (sur Lozengrad, à 55 kilomètres de Karayousouff), et ensuite, à défaut de place à Lozengrad, sur Mustafa-Pacha (70 kilomètres), par des chemins très mauvais et des charrettes à bœufs. Si les Bulgares n’avaient pas les moyens d’arranger, k Andrinople, une installation quelconque pour leurs propres blessés, comment s'attendre à ce qu’ils trouvassent à loger des milliers de cholériques turcs, qu'il fallait isoler des autres prisonniers et blessés? « Evidemment, au point de vue humanitaire, le sort de ces malheureux est digne de toute compassion, et les Bulgares auraient dû les traiter autrement. Mais je constate les faits tels qu’ils étaient et, en expliquant les circonstances données, certaines actions qui semblent, à première vue, affreuses, deviennent compréhensibles. Ce n’est pas l'armée bulgare qu'il faut accuser dans ce cas, mais l’abominable administration médicale, qui a été au-dessous de toute critique ; et si l’on peut, en général, parler de cruauté et d’inhumanité en temps de guerre, qui, par elle-même, n’est que cruauté et inhumanité, ces termes doivent être appliqués aux souffrances inouïes, au manque absolu d'attentions auxquels ont été soumis les braves soldats bulgares. Ces héros, d'un stoïcisme antique, sacrifiaient avec bonheur et exaltation leur vie à la patrie. Iis succombaient dans des conditions atroces, dues en grande partie à l’incurie, à l’ineptie, à l'incapacité et à l’abominable indifférence des autorités médicales militaires, qui, à de bien rares exceptions près, ont montré un mépris complet pour la science et pour la profession qu’elles avaient l’honneur immérité d’exercer. Voilà les coupables qui mériteraient d’être jugés et punis de façon à ce qu’ils soient, à l’avenir, privés de la possibilité de continuer à faire le mal qu’ils ont fait pendant la guerre. « Les journaux de l’Europe ont été remplis des « atrocités bulgares » envers les Turcs, Grecs, Serbes, etc, et il est étrange de voir cette unanimité acharnée d’accusations difficiles, presque impossibles à vérifier. Pendant ce qu¡ a été appelé « la seconde guerre » — c’est-à-dire depuis la reprise des hostilités jusqu'à la prise d’Andrinople — aucun correspondant étranger n'a été admis dans l’armée bulgare. Notre mission a été la seule qui ait été aux avant-pestes; et je certifie que, pendant les deux mois passés a Karayousouff, non seulement je n’ai jamais vu de blessé ou de cadavre mutilé, mais je n’en ai jamais entendu parler. Après le siège, j’ai vu des centaines de cadavres turcs qui