14 LES ORIGINES DES DEUX GUERRES BALKANIQUES contraire, à s’intéresser de plus en plus à l’organisation. En peu d’années, le pays entier se trouva prêt pour la lutte. On avait divisé toute la contrée en districts militaires, chacun avec son chef et son cadre de milices. L’organisation centrale, se rassemblant « partout et nulle part », possédait tous les rouages réguliers d’une administration révolutionnaire : une « police exécutive », un service postal et même un service d'espionnage pour parer aux coups de l’ennemi et punir les « traîtres et les mouchards ». Pendant toute cette période de complète expansion, le peuple s’adressait volontiers aux chefs, même pour régler ses affaires privées, au lieu de recourir aux fonctionnaires et aux juges ottomans, et payait de bon cœur les contributions révolutionnaires. On devenait si sûr de soi qu’on commençait à prendre l’offensive. Les ouvriers agricoles essayaient des grèves contre leurs maîtres turcs pour faire porter leur salaire au minimum indiqué par les chefs de 1’« organisation ». On se risquait de plus en plus hardiment dans des conflits ouverts avec les autorités turques, et le rapport officiel de 1’« organisation » en signale jusqu’à i32, avec 5i2 victimes, pendant la période 1898-1902. La diplomatie européenne s’émeut enfin. Le premier projet de réformes paraît, formulé par la Russie et l'Autriche, en vertu de leur entente de 1897. Mais la note austro-russe, de février 1903, formule des revendications trop modestes pour pouvoir résoudre le problème. Le résultat reste toujours le même : la Porte se hâte de prévenir l’action européenne en proclamant d’elle-même, au mois de janvier, l’iradéde réformes. Les révolutionnaires macédoniens sont désespérés. Un petit groupe d’extrémistes se détache du Comité pour essayer les mesures violentes dont pourrait s’émouvoir l’Europe : au mois de juin, des bombes partent à Salonique. Le 20 juillet (vieux style), jour de saint Elie (lline-dén), éclate une insurrection en bonne forme : les raïas s’aperçoivent qu’ils sont de taille à se mesurer avec leurs anciens oppresseurs. C’est le moment culminant de 1' « organisation intérieure », et c’en est aussi la chute. L’héroïsme des révoltés se heurte aux forces supérieures de l’armée régulière. On se bat à raison de 1 contre 13, de 26.000 contre 351 000; il y a un millier de morts, et, comme résultat final, 200 villages ruinés par la vengeance turque, 12.000 maisons brûlées, 3.000 femmes violées, 4.700 habitants tués et 71.000 laissés sans abri (nous continuons à citer le rapport officiel de 1’ « organisation »). Dès lors, commence la décadence de 1' « organisation intérieure », avec àes conséquences habituelles : démoralisation et jacobinisme. On recherche et, de plus en plus, on découvre des « traîtres », et on les exécute; on extorque des fonds et on les fait servir à des usages privés, au lieu de les employer à la lutte nationale ; l’oisiveté forcée condamne à une vie de désordres et de plaisirs