L’ALLIANCE ET LES TRAITÉS 21 premier grand politicien qui ait essayé de réaliser l’union yougo-slave sous l'hégémonie de la Serbie : le prince Michel Obrénovits, qui traitait, la veille même de sa mort violente, avec la Grèce, la Roumanie, le Monténégro et les « apôtres » révolutionnaires de la Bulgarie encore asservie, pour préparer la lutte commune contre la Turquie. A quoi bon « partager », pensait-il, puisqu’il y avait tant à prendre dans ce qui appartenait à chacun en toute propriété ? Il est vrai qu'on n’était pas tout à fait d’accord, dans la famille slave elle-même, sur l’idée de l’alliance sans partage. Il existait des Bulgares dont quelques-uns, et des plus clairvoyants, protestaient : pourquoi s’allier contre la Turquie puisque tout ce qui serait prélevé sur l’Empire Ottoman devait l’être, du même coup, sur l'ensemble du peuple bulgare ? Mais, contre ces derniers, on avait une double réponse toute prête : on alléguait l’exemple de la Turquie, qui mettait à l’épreuve la patience de ses ghiaours, même quand ceux-ci voulaient être loyaux, et celui des jeunes révolutionnaires bulgares, qui, par la voix de leur meilleur représentant, Lioubéne Karavélov, le patriarche de la littérature bulgare, s’écriaient : « Il nous faut d’abord l’union, l’union et encore l’union, et, quand nous serons libres, chacun aura ce qui lui revient. » Ces disputes de «870 et des années voisines s’éclairent singulièrement à la lumière des derniers événements. Ni l’idée d'alliance, ni l’antagonisme des prétentions balkaniques, qui apparut en même temps, ne disparaissent pendant les cinquante ans qui nous séparent de l’époque des premières tentatives du prince Michel, tué en 1868 : « Ta pensée ne périra pas », lit-on sur son tombeau. Et, en effet, elle n’a pas péri, mais elle est devenue bien plus complexe. Les convoitises se sont aiguisées à mesure que le domaine à partager se rétrécissait de plus en plus et qu’il restait cependant quelque chose à partager. Le duc d’Argyll ayant montré la part de « responsabilité anglaise » dans ces complications et ces difficultés nouvelles1, nous n’avons pas à nous arrêter sur le coup qui fut porté à l’idée de la fédération des nationalités balkaniques par le traité de Berlin, divisant en trois parties cette Bulgarie que le traité de San-Stefano avait proclamée « une et indivisible ». Tout ce qui suivit ne fut que la conséquence de cette grave erreur : les événements les plus récents y sont en germe. La réunion à la Bulgarie libre de la Roumélie orientale, restée vassale, la guerre serbo-bulgare de i885, conséquence immédiate de cette réunion, la rivalité croissante des nationalités dans la Macédoine, toujours asservie, les propagandes nouvelles des nationalités secondaires, l'isolement de la Grèce dans sa tentative de 1897, le fétichisme du statu quo, mitigé et corrigé par les intrigues des puissances, l’avortement du plan hypocrite de 1 Voir son livre : Our responsahilities for Turkey.