LES PAYSANS BULGARES ET L’ARMÉE GRECQUE 87 — et comment, d’ailleurs, l’eussent-ils fait? — en territoire grec. Ils regrettaient leur foyer et parlaient avec une sorte de passivité fataliste des événements qui avaient fait d’eux des nomades. Ils n’avaient rien à manger, au moment où nous les avons vus. Mais nous avons su que, depuis, les autorités grecques s’étaient efforcées de leur procurer du pain. L’histoire de cet exode est assez compliquée. Il était dans la tactique grecque d'affirmer qu’aucune minorité, qu elle fût grecque a musulmane, ne pouvait vivre en sûreté sous la domination bulgare. La vérité, c’est que de tous les pays des Balkans, la seule Bulgarie a conservé une forte proportion d’indigènes musulmans. Les Grecs avaient assuré officiellement, avant que la paix fût conclue, que les Musulmans et les communautés grecques émigreraient en corps des nouveaux territoires bulgares. La presse populaire alla plus loin et prétendit qu’ils brûleraient leurs maisons de leurs propres mains. Le moment venu, des mesures furent prises pour réaliser ces prophéties, plus spécialement à Strumitza et dans les villages environnants. Nous avons interrogé plusieurs de ces groupes de paysans sur la grand’route, près de Salonique (Annexe n°4). Nous avons enregistré la déposition d’un notable turc de Strumitza, Hadji Suleiman Effendi (Annexe n° 3). Nous avons questionné les réfugiés grecs, originaires de la même ville, qui se trouvaient à Kukush. Nous avons recueilli, à Sofia, des témoignages bulgares. Finalement, nous avons eu sous les yeux la déclaration confidentielle d’un témoin autorisé, sujet d’un des pays neutres, qui visita la ville avant la fin de l'exode. Partout, nous avons entendu la même chose : les autorités militaires grecques de Strumitza donnèrent l’ordre explicite à tous les Grecs et k tous les Musulmans de la ville et des villages d’abandonner leurs demeures et d’émigrer en territoire grec, et' cet ordre fut appuyé d'une menace de brûler leurs maisons. On usa aussi de la persuasion, qui réussit en partie auprès des Grecs. On les assura que les Bulgares les massacreraient s’ils ne partaient pas. On leur promit encore qu’on élèverait à Kukush une nouvelle Strumitza, sur un plan admirable, et on leur promit qu’ils y recevraient des habitations et des terres. Quelques-uns des Grecs influents embrassèrent avidement cette politique et s'employèrent à la soutenir. L’exode grec fut loin d’être spontané, mais il fut, dans l’ensemble, volontaire. Par contre, notre conviction est que les Musulmans, eux, cédèrent à la force. Il est vrai que leur expérience du joug serbo-bulgare, pendant les premières semaines de la guerre, avait été terrible. Mais cela, c’était le passé, et la plupart reconnaissent que le joug bulgare, une fois ces violences finies, avait été pour le moins supportable. La majorité d'entre eux partirent pour obéir aux ordres reçus,tandis que quelques-uns essayèrent en vain de gagner, avec de l’argent, les soldats grecs. Plusieurs s’obstinèrent à rester et furent chassés par la force.