INTRODUCTION \xv 1res grand, s'est orientée, c'est bien le mot, du côté de l’exportation. Le marché intérieur ne suffisant plus, elle s’est créé un marché extérieur. La politique étrangère d’un grand pays est avant tout, pour elle, la politique des armements : la diplomatie a pour principal devoir, à ses yeux, de lutter à qui enlèvera telle commande de fusils, de canons ou de cuirassés à une grande nation rivale ; à qui subordonnera ses interventions ou ses prêts d’argent à des achats de fournitures. Les luttes deviennent des combats homériques d’influences, d’intrigues ; les ambassadeurs n’ont pas la possibilité de s’en désintéresser sans déchoir. L’Empereur même d’un très grand pays voisin n'a-t-il pas mis son point d’honneur à militariser •— sans succès d’ailleurs, — la Turquie? Mais la Turquie, ce n’est pas assez ; non plus que les colonies et les petits Etals sans ressources. Il a fallu tâcher de militariser l’Amérique du Nord, celle du Sud, l’Australie. On a forcé le Canada, dont l’avenir était précisément son exemption de toute charge militaire, on a forcé le Canada à se commander, en Angleterre, une flotte el à prendre sur la population, qui pourtant lui manque, les éléments d’une marine dont il avait pu se passer pendant un siècle ! — L’Australie n’a pas hésité. Le Brésil, la République Argentine, le Chili, les autres Républiques de l’Amérique latine avaient résisté, donnant à l’Europe cet exemple d’une coopération pacifique ; mais des entreprises de toutes sortes, toujours répétées, ont fini par avoir raison de leur bon sens ; des commis-voyageurs en patriotisme sont accourus de tous les points de l’Europe pour leur démontrer la nécessité de se commander les plus gros cuirassés possible. On se souvient de l’extraordinaire expérience du Brésil, première dupe île ces campagnes et qui dut rabattre de sa fierté quand arriva des chantiers anglais sa grande Armada, et quand on la vit faire ses premières armes en canonnanl Rio-de-Janeiro ! ! Ce fut le commencement des désillusions ; le mastodonte tué par le ridicule ! Depuis lors, la propagande des armements est en baisse, même aux Etats-Unis où cependant une presse, modèle du genre, la presse sensationnelle, a fait ses preuves et se développe à la faveur des événements providentiels du Mexique. Pendant ces dernières années, la Chambre des représentants, à Washington, a refusé le vote d’un cuirassé sur deux. En Allemagne, le procès Krupp, les incidents de Saverne, bien d’autres encore, sans parler de la conférence de Berne, ont répondu aux excitations furieuses de la presse pangermaniste ; au Japon même \ient d’éclater le scandale des dépenses navales. La Russie, pourtant, heureusement pour la grande industrie des armements, oublie ce que sa flotte lui a coûté de désastres ; elle s’est laissée de nouveau endoctriner ; l'Autriche aussi a capitulé, l’Espagne même ne demande qu’à être convaincue, dans la mesure de ses moyens ; mais, dans l’ensemble, l'enthousiasme se refroidissait ; la clientèle des nouveaux Etat' balkaniques vint tout sauver ; les feux de joie de la presse chauvine de tous les pays convergèrent sur ces bienheureux pays d’importation.