LA MACÉDOINE SERBE 157 les tuer même impunément. C est ce régime d'anarchie qui est résumé dans la lettre publiée dans le Manchester Guardian qu’on lira ci-dessous1. Quels ont été les résultats obtenus par ce système implacable au moment du commencement de la guerre serbo-bulgare? Un maître d’école bulgare les a caractérisés, en disant : « Même si l’on était Européen, on se déclarerait « Serbe, si l'on se trouvait abandonné comme cela, seul et sans soutien, en « face du banditisme déchaîné et protégé par le pouvoir légal. » Pourtant le but n’était pas encore atteint et, quand la seconde guerre éclata, les pouvoirs d’occupation en profitèrent pour recourir à de nouvelles répressions qui mirent fin à l’existence ouverte de la nationalité bulgare. Nous allons suivre ces répressions dans différents endroits de la Macédoine, en nous appuyant sur les dépositions que la Commission a reçues, à Sofia, des intellectuels bulgares, fugitifs de Macédoine, et en les complétant par les rapports des axitorités ecclésiastiques bulgares. On pouvait prévoir que la pression la plus sérieuse serait exercée sur les 1 Après avoir cité les ordonnances serbes dont nous avons parlé plus haut, le journal anglais poursuit : « Telle est la théorie serbe de la coercition. La pratique est pire encore. La Serbie est un pays qui compte trente pour cent d’illettrés. Il faut qu’elle envoie des fonctionnaires dans un territoire conquis qui égale à peu près sa propre superficie, et les hommes les plus capables considèrent la province macédonienne comme un exil. Des agents indignes sont investis de pouvoirs souverains. Les conséquences d’un pareil état de choses sont dépeintes brièvement, mais avec force, dans une lettre personnelle arrivée récemment et traduite ci-dessous. Elle émane d’un ecclésiastique distingué, — il vaut mieux ne pas indiquer de quelle église il fait partie, — qui est natif du pays, mais a reçu une éducation européenne; il n’appartient pas à la communauté bulgare persécutée : « La situation est de plus en plus intolérable pour les Bulgares : c’est proprement un enfer. « J’ai eu l’occasion de m’entretenir avec des paysans de l’intérieur du pays. Ce qu’ils racontent « fait frissonner. Il y a un fonctionnaire par groupe de quatre ou cinq villages; ce fonctionnaire, « avec six ou sept subalternes qui ont des antécédents déplorables, fait des perquisitions et, « sous prétexte de chercher des armes cachées, on vole tout ce qui vaut la peine d’être pris. Ils « fouettent, ils pillent, ils violent des femmes et des jeunes filles. Ils imposent arbitrairement de « prétendues contributions de guerre. Un village de cent dix familles a été imposé de « 6.000 dinars (£ 25o\ et on lui réclame maintenant 2.000 dinars de plus (£ 80). Le prêtre du « village a dû payer une rançon de 5o livres turques. De pauvres émigrants, de retour d’Amé-« rique, ont eu à payer de 10 à 20 napoléons pour avoir la permission de revenir chez eux. « Les fonctionnaires et les officiers volent sur une grande échelle, grâce aux douanes et aux « fournitures militaires. La police est toute-puissante, surtout celle qui appartient aux services « secrets. Des bandes de terroristes serbes (comitadjis), recrutées par le Gouvernement, four-« millent dans tout le pays. Elles vont de village en village et malheur à quiconque ose leur « refuser quelque chose! Ces bandes sont libres d'agir comme elles l’entendent pour « serbiser » « la population. On empêche des bergers de mener paître leurs troupeaux, sous prétexte qu ils « pourraient ravitailler les bandes bulgares. En un mot, c’est l’anarchie absolue. Nous aurons « bientôt une famine, car les Serbes ont tout pris et, dans les conditions actuelles, personne 11c « peut gagner sa vie. Tout le monde voudrait émigrer, mais il est impossible d obtenir môme la « permission d’aller dans un village voisin. »