LE THÉÂTRE DE LA GUERRE SERBO-BULGARE 129 avec l’armée serbe, « sur les ruines et les cendres de ses maisons ».Mais l’autre partie de la population était bulgare et, évidemment, n’a pas pu souffrir de l’armée bulgare plus qu’il n’était inévitable que souffrît toute population habitant le théâtre d’une guerre. Or, nous savons, par les documents bulgares que nous publions, que c’est justement le contraire qui s’est produit, au moins pour les villages dont les noms se répètent dans la liste serbe et dans la liste bulgare, et pour une quantité d’autres qui ne sont pas même mentionnés par les Serbes. Nous voyons cette population bulgare s’enfuir devant l’armée serbe pour échapper aux violences et aux vengeances des Turcs qui reviennent ou, plutôt, qui attendent leur heure en restant sur place. Les témoignages des réfugiés sont formels et décisifs sur ce point. En admettant que le recul nécessaire leur manque pour bien juger les événements, en revanche, la connaissance intime et profonde des choses locales ne leur manque pas. Arrêtons-nous donc sur ces dépositions de paysans, de prêtres et de maîtres d’école, dont les noms sont connus de la Commission. Nous voyons que, partout, l’apparition de l’armée serbe donne le signal de l’exode. Il est vrai que les Serbes déclarent quelquefois apporter avec eux « l’ordre et la sûreté », et ils menacent la population de l’incendie et du pillage, seulement dans le cas où les fuyards ne voudraient pas rentrer. Quelques-uns d’entre eux, plus crédules, rentrent. Quel est le sort qui les attend? Ici, il faut se rappeler que les soldats serbes n’arrivent pas seuls. Ils sont accompagnés par des gens qui connaissent mieux qu’eux les villages et leurs habitants. C’est, par exemple, ce Rankovits, un comitadji serbe devenu officier, et qui, dès le mois de mars, faisait déjà de la propagande pour le roi Pierre dans ces mêmes villages. Ce sont les vlakhs (les Valaques, les Roumains) qu'on met à la tête de l’administration, parce qu’ils sont prêts, eux, à se proclamer « frères des Serbes », à condition de pouvoir s’enrichir au détriment de la population. Leur formule vis-à-vis de la population bulgare, la plus nombreuse, est celle-ci : « Jusqu’ici vous étiez nos maîtres et vous pilliez nos biens ; mainte-« nant, c’est à notre tour de piller les vôtres ». Mais ce qu’il importe surtout de savoir, c’est que les Turcs apparaissent avec l’armée serbe, appelés par elle à son aide, quitte à être poursuivis par ces mêmes Serbes, le moment venu (voir chap. iv). Les Turcs ont à venger les spoliations probables commises par l’armée bulgare et, en outre, les conversions forcées (chap. iv). Et voici ce qui arrive. Prenons le village de Vinitsa (donné dans le document serbe comme ayant été brûlé et ravagé par les Bulgares « pendant leur retraite »). Les soldats serbes, dès leur entrée, se mettent à demander aux villageois, « l’un après l’autre, s’ils sont Serbes ou Bulgares ». Celui qui répond « Bulgare » est fortement battu. Puis le commandant des troupes choisit soixante-dix paysans et donne l’ordre de les fusiller. Dans d’autres villages, comme nous le ver- 9