LES CONSÉQUENCES MORALES ET SOCIALES DE LA GUERRE craindre que plus d'un jeune homme n’ait appris là, pour la première fois, à commettre de ces actes violents et criminels que réprouve le code de la guerre entre nations civilisées. Nous avons à nous occuper surtout de la seconde guerre, et c’est dans celle-ci que les conséquences morales apparaissent comme les plus terribles. Ces nations qui avaient été alliées, qui avaient ensemble imploré le ciel dans une guerre d'affranchissement, se laissèrent aller sans frein à une haine mutuelle. La jalousie et l’amertume nationales, la convoitise des territoires et la méfiance réciproque suffirent à provoquer et à aggraver la guerre la moins nécessaire et la plus brutale des temps modernes. Ceux qui avaient combattu côte à côte à Tchalaldja et à Andrinople étaient prêts dorénavant à se tuer, à se mutiler et à se torturer les uns les autres. Pour celui qui reste dans sa maison ou pour l'observateur superficiel, la guerre revêt volontiers une certaine splendeur. Elle semble la porte ouverte sur la gloire et la renommée. La Commission a eu l’occasion d'assister à Belgrade, vers la fin de la seconde guerre, au retour de quelques-uns des régiments d'élite serbes et à la célébration des victoires avec défilé de soldats, arcs de triomphe, étendards, Heurs et musique. Le roi, le prince héritier, les officiers supérieurs et la population entière, tout respirait un air de grande fête. Des scènes analogues se sont passées à divers moments, à Sofia, à Salo-nique, à Athènes et à Bucharest1. Mais dans les discours prononcés à cette occasion, c’est à peine si mention était faite des cent mille jeunes gens, ou presque, que la mort, les blessures, la maladie ou les massacres venaient d’enlever à la nation. Les mères et les sœurs des soldats morts, répandues en grand nombre parmi la foule, sous leurs vêtements de deuil, n'attiraient que peu — qu'il nous soit permis de le dire — l’attention et la sympathie publiques. Chacune des trois nations belligérantes, plus la Roumanie qui avait saisi l'heure propice pour s’emparer d'un morceau de choix dans le territoire du voisin et lui présenter un traité à la pointe de la baïonnette, toutes se posaient devant le monde comme les défenseurs d'une cause juste. Nous avons aussi été témoins de la démobilisation des troupes serbes; en effet, nous avons rencontré dans ce lent voyage de deux jours, entre Belgrade et Uskub, plus de trente trains militaires chargés d’hommes, de chevaux, de bœufs, de voitures, de canons, d'équipements. Souvent, ces trains étaient décorés de tleurs ou de branches d’arbre. De temps en temps, on entendait des chants patriotiques. Ainsi, le départ et le retour des soldats s’accompagnaient de la même ardeur, de la même joie nationale. Cela, c’est le côté 1 II serait diJllcilc de dire ce qui a causé la plus grande joie : des victoires remportées sur les Turcs ou de celles remportées sur les anciens alliés, les Bulgares.