LE CONFLIT ENTRE LES ALLIÉS 37 La précaution n’était pas superflue, car le prêtre Nicolas répondit à cette invitation en s’enfuyant lui-même à Chtipe, sous la protection des autorités bulgares. Voici ce qu’il écrit au sous-préfet de Chtipe : « Je n’ai pas voulu « conduire mes paroissiens à l’Eglise serbe. Ne pouvant pas renoncer à ma « nationalité bulgare, j'ai émigré. Je dois ajouter que ma famille est exposée à « la vengeance des autorités serbes, et que mes enfants, restés en leur lieu de « naissance, seront condamnés à l’emprisonnement, à Belgrade, si je ne reviens « pas immédiatement. » Du côté serbe, on s’est efforcé de nier l’authenticité des documents bulgares cités plus haut et on a publié même, pour les réfuter, une petite collection de documents secrets serbes, authentiques eux aussi, et intéressants à plusieurs points de vue. Nous y reviendrons. Mais, pour la question qui nous intéresse, il faut dire ici que ces documents ne font que confirmer ce que nous avons déjà dit. « Celui qui se dit Bulgare », y écrit un certain Pierre Kotsov, Bulgare de Macédoine, dans une lettre du 11 /a4 janvier 1913, « risque d’être tué. Dans « tous les villages, les Serbes ont introduit leur administration communale « et installé un maître d’école serbe par dix villages. Nous ne pouvons pas « agir et nous sommes dans une situation difficile, car les Serbes ont pris toutes « les armes des Bulgares. Nous faisons ce que nous pouvons, nous parlons « au peuple, mais nous attendons tous l’armée bulgare. Faites qu’elle vienne « le plus tôt possible, autrement nous serons tous soumis par les Serbes. Les « Bulgares les plus convaincus eux-mêmes sont tout près de devenir Serbes. « La police secrète a de nombreux agents. Qui ose mal parler des Serbes « en souffrira* ». Au sud de la Macédoine, dans la zone de l’occupation grecque2, on assiste aux mêmes efforts pour rendre grecque la population. Voici quelques exemples choisis entre mille. Du village de Dembéni (Castoria), on écrit le 1 i/a4 décem- 1 Ces documents sont publiés dans l’Annexe du livre de M. Balcanicus : les Serbes et les Bulgares dans la guerre balkanique. Nous empruntons notre citation à la traduction allemande : Serbien nnd Bulgarien im Balkankriege 1912-1913, ins deutsche übertragen von Dr jur. L.. Mar-howitsch, Wigand, Leipzig, 1913. En effet, la traduction de l'original faite en français dénature le sens des documents publiés. Par exemple, dans notre citation, la première phrase (en allemand : iver sich als Bulgare bekenni, dem droht die Lebensgefahr) est traduite : « Il nous est absolument impossible de soulever le peuple. » La dernière phrase : wer was schlechtes von Serben Sagt, dem wird es nicht wohlergehen, est tout simplement omise. * Voir les zones d'occupation sur la carte (carte n° 2)’que nous avons empruntée au livre de M. Balcanicus telle quelle, pour mieux rendre compte du point de vue serbe. Nous n'avons fait que pointiller plus distinctement et compléter du côté du sud la frontière de l’Albanie telle que l’avait projetée la conférence de Londres (M. Balcanicus nous montre une Albanie dont plus de la moitié est occupée par les Serbes). Nous avons ajouté aussi la ligne de la frontière serbo-bulgare, convenue au traité du 29 février (i3 mars 1912). Balcanicus est le pseudonyme d’un homme d'Etat serbe très connu.